samedi 9 août 2014

Litanies...



... et maltraitance ordinaire !

Mon pauvre vieux dans quel état es-tu ! Suivi de quelques bruitages appropriés afin de souligner la remarque me gratifiant du statut d’épave peut ragoûtante.  Et alors que je me bats avec mon fauteuil percé au bord de la chute catastrophique, elle prend son temps et me décoche : tu te rends compte de ce que tu me demande, c’est affaire de spécialistes en maison de retraite, jamais tes petits vieux n’ont exigés une pareille assistance ! Elle intervient, toutefois,  avant la catastrophe et me gratifie de qualificatifs concernant mon état, propre à anéantir un moral pas au mieux de sa forme ! Notre Yveline rompt le contact, gagne la cuisine ou elle soliloque en continu et abondamment… elle réapparaît pour m’annoncer son programme qui la tiendra hors de portée un grand moment : tu te débrouilleras comme tu pourras, tu seras seul et advienne le pire...L’esclave s’aère, mais toujours pour ton service ! J’ai entendu le bruit de la porte d’entrée que l’on referme, je suis enfin seul !
Mes mains sont gourde au point qu’il m’a fallu pas mal de temps pour écrire ces quelques lignes, lorsque dans la cuisine retentit : c’est moi ! L’Yveline se précipite dans ma cage pour me commenter son périple, sans me décocher de  nouvelles flèches empoisonnées, de suaves paroles sortent de sa bouche… c’est la trêve comme à Gaza…à votre avis çà va durer combien de temps ? A mon avis, dans notre monde les vieux, ou qu’ils se trouvent, sont exposés à une certaine maltraitance ordinaire Moi je suis parvenu au niveau médian mais je constate avec effroi que ma résistance s’émousse jour après jour !

Et la trêve prit fin avec le repas du soir, à chaque livraison j’eus à subir ces petites phrases qui font mal comme : ma pauvre petite vielle que ne te fera-t-on faire pour finir de t’accabler, j’en fais des pas ! Et beaucoup d’autres encore, composantes des litanies qui bercent mes journées depuis longtemps. Mais qui depuis peu, me foncent dessus avec la puissance d’un ouragan et parfois me parviennent comme des petits cris étouffés, se sont ceux là qui me blessent le plus profondément. Alors je m’en veux d’être vivant et je me paye chaque fois la même projection de mon histoire personnelle, depuis  que des toubibs parisiens aussi prospères qu’incompétents m’ont placés dans ce toboggan, qui entre autre m’a permis de comptabiliser mes pertes d’autonomie diverses, et fortement invalidantes. Chaque fois, je me retrouve au point de départ, tout aussi démuni. Dés les prémices de ma déchéance, j’ai bien pensé à me foutre en l’air, mais les armes que j’avais ramené du Maquis, gisait depuis longtemps au fond de la rivière qui coule, non loin de la maison de mes parents, dans mon LOT natal. Alors comme je ne suis pas un pro dans le maniement des drogues…
… Mais un autre élément a, sûrement, joué au moment de passer à l’acte, car dans un coin de ma mémoire, une histoire ancienne, mais toujours bien présente, qui a marqué brutalement l’âge de mon insouciance. J’avais à peine plus de 17 ans sonnés quand je me suis engagé en résistance avec une bonne dose d’inconscience et nous attendions le débarquement pour créer une nouvelle unité du Maquis Vény Groupe Cdt Delmas. Le 6 juin avec mon copain André nous avons rallié la ferme du Lard, notre point de rassemblement ou  l’on nous dotât d’un brassard FFI,  d’une mitraillette avec  deux chargeurs, ce qui faisait de nous des combattants homologués de la Résistance. Nous ne savions pas que partis de Montauban par la nationale N°20 les panzers de la division SS Das Reich n’allaient pas tarder à se précipiter vers la Normandie et passer  à quelques kilomètres de notre base. Ce qui se passa fut à la fois tragique et à la fois, imprévisible. Nous étions, certes, encore de piètres combattants, lorsqu’un informateur nous avisa qu’une colonne de char allait passer à une portée d’arbalète du mamelon ou nous trouvions. A cette information le message comportait un détail qui égara notre chef, Cdt de Gendarmerie à la retraite, un très honorable rescapé de Grande Guerre qui apprenant qu’un char avait explosé sur la Nle 20 et que les suivants avaient bifurqués par notre petite route pour sauter l’obstacle. Le cher homme pensant que nous n’étions pas visibles depuis la route, ne croyait pas à une attaque frontale, alors il se contenta de renforcer le dispositif déjà en place,  nous étions en alerte rouge…
Nous perdîmes cette bataille et un paquet de très jeunes hommes y perdirent la vie.  Leurs noms figurent toujours sur une stèle, au croisement de deux petites routes de ce Quercy, si cher à mon cœur. Nous avions étés dénoncés à la Gestapo et les survivant se devaient de vivre plusieurs vies pour tous nos copains malchanceux ! Je suis persuadé que me considérant comme un survivant de cet épisode guerrier, je n’ai pas eu la force d’abréger ma, pourtant, si triste vie d’aujourd’hui…