... et
maltraitance ordinaire !
Mon pauvre vieux dans quel état es-tu ! Suivi de quelques bruitages
appropriés afin de souligner la remarque me gratifiant du statut d’épave peut
ragoûtante. Et alors que je me bats avec mon fauteuil percé au bord de la
chute catastrophique, elle prend son temps et me décoche : tu te rends compte de ce que tu me demande, c’est affaire de spécialistes
en maison de retraite, jamais tes petits vieux n’ont exigés une pareille
assistance ! Elle
intervient, toutefois, avant la catastrophe et me gratifie de
qualificatifs concernant mon état, propre à anéantir un moral pas au mieux de
sa forme ! Notre Yveline rompt le contact, gagne la cuisine ou elle
soliloque en continu et abondamment… elle réapparaît pour m’annoncer son
programme qui la tiendra hors de portée un grand moment : tu te débrouilleras comme tu pourras, tu seras seul et advienne le
pire...L’esclave s’aère, mais toujours pour ton service ! J’ai entendu le bruit de la porte d’entrée que l’on
referme, je suis enfin seul !
Mes mains
sont gourde au point qu’il m’a fallu pas mal de temps pour écrire ces
quelques lignes, lorsque dans la cuisine retentit : c’est moi ! L’Yveline se
précipite dans ma cage pour me commenter son périple, sans me décocher de
nouvelles flèches empoisonnées, de suaves paroles sortent de sa bouche… c’est
la trêve comme à Gaza…à votre avis çà va durer combien de temps ? A mon
avis, dans notre monde les vieux, ou qu’ils se trouvent, sont exposés à une
certaine maltraitance ordinaire Moi je suis parvenu au niveau médian mais je
constate avec effroi que ma résistance s’émousse jour après jour !
Et la trêve prit fin avec le repas du soir, à chaque
livraison j’eus à subir ces petites phrases qui font mal comme : ma
pauvre petite vielle que ne te fera-t-on faire pour finir de t’accabler, j’en
fais des pas ! Et beaucoup d’autres encore, composantes des litanies
qui bercent mes journées depuis longtemps. Mais qui depuis peu, me foncent
dessus avec la puissance d’un ouragan et parfois me parviennent comme des
petits cris étouffés, se sont ceux là qui me blessent le plus profondément.
Alors je m’en veux d’être vivant et je me paye chaque fois la même projection
de mon histoire personnelle, depuis que des toubibs parisiens aussi
prospères qu’incompétents m’ont placés dans ce toboggan, qui entre autre m’a permis
de comptabiliser mes pertes d’autonomie diverses, et fortement invalidantes.
Chaque fois, je me retrouve au point de départ, tout aussi démuni. Dés les
prémices de ma déchéance, j’ai bien pensé à me foutre en l’air, mais les armes
que j’avais ramené du Maquis, gisait depuis longtemps au fond de la rivière qui
coule, non loin de la maison de mes parents, dans mon LOT natal. Alors comme je
ne suis pas un pro dans le maniement des drogues…
… Mais un autre élément a, sûrement, joué au moment de
passer à l’acte, car dans un coin de ma mémoire, une histoire ancienne, mais
toujours bien présente, qui a marqué brutalement l’âge de mon insouciance.
J’avais à peine plus de 17 ans sonnés quand je me suis engagé en résistance
avec une bonne dose d’inconscience et nous attendions le débarquement pour
créer une nouvelle unité du Maquis Vény Groupe Cdt Delmas. Le 6 juin avec mon
copain André nous avons rallié la ferme du Lard, notre point de rassemblement
ou l’on nous dotât d’un brassard FFI, d’une mitraillette avec
deux chargeurs, ce qui faisait de nous des combattants homologués de la
Résistance. Nous ne savions pas que partis de Montauban par la nationale N°20
les panzers de la division SS Das Reich n’allaient pas tarder à se précipiter vers
la Normandie et passer à quelques kilomètres de notre base. Ce qui se
passa fut à la fois tragique et à la fois, imprévisible. Nous étions, certes,
encore de piètres combattants, lorsqu’un informateur nous avisa qu’une colonne
de char allait passer à une portée d’arbalète du mamelon ou nous trouvions. A
cette information le message comportait un détail qui égara notre chef, Cdt de
Gendarmerie à la retraite, un très honorable rescapé de Grande Guerre qui
apprenant qu’un char avait explosé sur la Nle 20 et que les suivants avaient
bifurqués par notre petite route pour sauter l’obstacle. Le cher homme pensant
que nous n’étions pas visibles depuis la route, ne croyait pas à une attaque
frontale, alors il se contenta de renforcer le dispositif déjà en place,
nous étions en alerte rouge…
Nous perdîmes cette bataille et un paquet de très
jeunes hommes y perdirent la vie. Leurs noms figurent toujours sur
une stèle, au croisement de deux petites routes de ce Quercy, si cher à mon
cœur. Nous avions étés dénoncés à la Gestapo et les survivant se devaient de
vivre plusieurs vies pour tous nos copains malchanceux ! Je suis persuadé
que me considérant comme un survivant de cet épisode guerrier, je n’ai pas eu
la force d’abréger ma, pourtant, si triste vie d’aujourd’hui…